BG de notre Guilde : Ouverture de la Saison Funeste

L’atmosphère était particulièrement étouffante en cette fin de journée. Le soleil frappait durement les murs de la vieille Tarantia, les nombreux bassins ne paraissant plus suffire à abreuver les feuillages secs de la végétation grimpant le long des pierres de la cité.

A ce moment de la journée, seuls les marchands endurcis osaient affronter la chaleur oppressante. Si bien que tout visiteur de la prestigieuse capitale ne pouvait se retenir de sourire en observant ces courageux travailleurs ventripotents, affalés sur leurs caisses de fruits exotiques ou d’armes cimmériennes, poussant des jurons et pestant contre les dieux du commerce, tout en passant d’un geste grotesque un mouchoir imbibé de sueur sur leur visage parfois si transpirant qu’il luisait tel un second soleil.
Mais peu de touristes étaient assez fous pour traîner de nos jours sur les dalles usées de la ville durant les heures les plus chaudes de cet été particulièrement caniculaire.

Un bruit de mailles et de pas pressés, une forme encapuchonnée traversant prestement l’allée désertée, le battement d’une porte commune entre deux murs blanchis par l’usure du soleil, un dernier claquement, puis à nouveau le silence.
C’était somme toute très banal.
Le marchand tourna en soupirant la tête sur son inventaire, qui commençait à se gâter au soleil, et vérifia une nouvelle fois la bâche qui apportait décidément une bien faible protection à ses produits.



Dans la villa isolée, la fraîcheur de l’air surprit le visiteur, qui se signa rapidement en saluant les visages qui l’observaient, ôtant d’un geste sa cape pour la placer sur un portoir, avant de rejoindre la tablée faiblement éclairée où la discussion reprit son cours.


- Bon sang, tu ne pourrais pas ne serait-ce qu’une fois arriver à l’heure ? Lui glissa une jeune femme aux cheveux courts, avant d’esquisser un sourire pendant qu’il prenait place à côté d’elle.

- Je ne pensais pas être attendu … qu’y a-t-il de si important ? Lui chuchota le nouveau venu, croisant ses bras puissants sur la table avant de jeter un rapide coup d’œil aux personnes l’entourant. Il reconnaissait Ante, la jolie brune assise aux côtés de Nerath, facilement reconnaissable avec son crâne chauve et sa trentaine passée, puis Zodd et Nodd, la belle Yasmine, le jeune Stelios, et bien d’autres visages connus, souvent moins jeunes. Seuls quelques visages lui échappaient, sûrement ceux de messagers et de correspondants, ou de proches alliés…

- Je n’en ai aucune idée … mais je pense que nous allons bientôt le savoir… lui répondit Catriana, sa voisine, passant négligemment une main dans sa courte chevelure blonde.

En effet, les conversations se turent vite lorsque Nerath se leva et prit la parole.



- Bien, maintenant que nous sommes enfin au complet, permettez que je vous communique le rapport de nos envoyés des provinces de Shem et Kush, et qui est la raison même de votre convocation à cette réunion de crise.
D’après leurs informateurs, Thot-Amon est devenue une réelle menace. Ses armées grossissent de jour en jour. De nombreux pillages ont été recensés par nos services, le quart seulement de ces massacres ayant été à ce jour communiqué aux populations. Ce qui nous porte à craindre que plusieurs trônes ne cèdent à la pression et ne rejoignent ses rangs, si ce n’est pas déjà le cas…

- Qu’est il devenu de nos relations avec lui ? , demanda Catriana. Il me semble que c’était au départ un fervent membre de notre Ordre… N’y a-t-il plus de possibilité de lui faire entendre raison ou tout du moins l’orienter à servir nos intérêts, d’une manière ou d’une autre, comme nous en avions parlé au cours de nos précédentes réunions ?

- Malheureusement non, j’en ai bien peur, reprit Nerath en soupirant. Toutes nos tentatives de rencontre avec Thot-Amon afin de le raisonner ont échoué. Il a entièrement renié l’Ordre et tente aujourd’hui mener à sa manière son combat, une armée d’âmes déchues dans ses rangs. Il œuvre donc à présent ouvertement contre nos plans et doit être éliminé avant qu’il ne devienne trop puissant.

Des vives réactions accueillirent ces dernières paroles, surtout parmi les plus jeunes que l’idée du combat fascinait. Seuls les doyens méditaient, fronçant des sourcils en lissant leur barbe grisonnante de leurs doigts vieillis par l’âge. Il était clair que ce genre de décision les ennuyait, la diplomatie étant toujours considéré comme un choix préférable à l’action au grand jour.



Zodd haussa la voix pour se faire entendre.

- Thot-Amon n’est pas notre seul souci… Il ne faut pas oublier les informations qui nous viennent de nos informateurs du nord et de l’est. D’après eux, les territoires frontaliers sont sous le joug d’attaques coordonnées. Des alliances sont en train de se créer. Pictes, Hyperboriens et Vanirs s’agitent aux frontières…

- Tu n’as pas tort, répondit Nerath. Mais ces tensions ont toujours existé. Bien que je ne porte pas Conan en mon cœur, ce sont ses problèmes, laissons le s’en charger et focalisons nous sur Thot-Amon… Nous avons déjà bien trop à faire…


Le retardataire grogna –ce qui lui valut un regard courroucé de sa voisine- et prit à son tour la parole.

- Il est vrai que Conan a de nombreuses fois vaincu au cours de ses aventures. Et malgré le fait qu’il ait plus d’une fois cherché à démanteler notre réseau, je lui porte un grand respect. Mais aujourd’hui il faut se rendre à l’évidence. Conan vieillit … De grands dangers œuvrent aux portes de l’Hyboria, et l’exhumation constante des reliques atlantes n’arrange rien... Ce sont des épreuves bien plus sombres que celles qu’il a eu à affronter dans son jeune âge.


Ante acquiesça, un air sérieux se lisant sur ses traits fins, ce qui était peu commun chez une cimmérienne.

- Je suis d’accord avec toi, Aegel, dit-elle. Nous devons intervenir. Mais par quels moyens ? Nous ne sommes aujourd’hui qu’une poignée, et même en combinant nos réseaux, ce n’est pas grâce à quelques discours, plusieurs assassinats et deux ou trois alliances branlantes que nous parviendrons à affronter cette nouvelle épreuve…

- Je ne suis pas d’accord, répondit un homme âgé, voisin de Stelios. Nos talents de diplomates nous ont par le passé toujours été d’une grande utilité, et je suis convaincu qu’il reste encore des solutions diplomatiques à ces maux … Après tout, nous pourrions nous entretenir avec des tribus adverses aux Vanirs et convenir d’un traité …

- Excuse moi de t’interrompre, rétorqua Nodd, mais je ne crois pas être le seul à penser que nos résultats sont de plus en plus maigres… et que notre diplomatie se borne dernièrement à de l’espionnage ou de la surveillance de nobles, alors que les villages continuent à brûler… Je ne sais si vous êtes de mon avis, mais moi j’en ai assez de ces débats et des diplomaties stériles et inutiles ! Nous en avons soupé des discussions interminables autour d’une table, à débattre pour savoir si telle personne mène bien sa régence ou si un tel doit être assassiné pour ses idées … il est temps pour nous de changer et d’agir à découvert !

- Que comptes-tu faire ? reprit le vieil homme. Nous avons toujours procédé ainsi … Ces diplomaties que tu trouves stériles, je te rappelle que c’est notre manière d’agir… C’est la base de notre ordre. Il nous faut respecter à tout prix notre dogme… Aujourd’hui plus qu’auparavant, la saison de la Sage nous enjoint à examiner toutes les possibilités d’action et délibérer afin d’entrevoir les solutions appropriées. Et même si pour cela nous devons continuer à procéder à ces assassinats ou ces opérations parfois délicates, nous ne devons trahir le grand Œuvre, comme a pu le faire Thot-Amon !

- Parlons-en ! Thot-Amon connaît notre façon d’agir. Il saura contrer chacune de nos initiatives ! répondit Catriana de manière enflammée.

- De toute manière, continua Nodd, c’est justement si nous continuons ainsi que nous prenons le risque de laisser le Grand Œuvre inachevé… Et si Thot-Amon vainc, l’humanité se vautrera dans la fange.


Catriana reprit la parole.

- Nous devons évoluer, c’est la seule solution… La diplomatie porte en elle trop de risques de défaite... Nous devons à tout prix changer nos plans, nous montrer forts et reconsidérer notre dogme…

- Reconsidérer notre dogme ? Comment ça ? Que veux-tu faire ? répondit Nerath, surpris par la dureté des paroles de Catriana.

- La Saison de la Sage n’a que trop duré. Nous voyons aujourd’hui même le fruit de notre entêtement à la faire durer le plus possible. Vous savez de quoi je parle. Je parle de la prochaine saison. La Saison Funeste.



Si la pièce n’était pas éclairée, on l’aurait crue inhabitée, tellement le silence fut total. Tous se regardaient, les uns avec des yeux écarquillés, les autres ne parvenant pas à cacher une moue de désapprobation, et enfin une grande majorité s’échangeant des regards de compréhension, rendant clair le fait qu’ils avaient déjà longuement débattu sur la question.




- Il faut être aveugle pour ne pas voir les signes ... continua Catriana, d’une voix à présent mal assurée.

- Il est vrai que cela fait depuis trop longtemps que nous en repoussons l’échéance, déclara Ante, soutenant Catriana. Nous vivons encore comme si notre époque n’était pas révolue. Les prophéties concernant la Saison Funeste font pourtant partie de notre dogme, il nous faut les écouter. La saison de la Sage est périmée depuis bien longtemps, et avant elle la saison prolifique de la Fenaison. Et vous refusez toujours de l’admettre. Pour faire face à ces nouveaux dangers, à Thot-Amon, il est temps d’œuvrer pour la Saison Funeste.



Ante se leva et posa les poings sur la table, Catriana et Yasmine suivirent le mouvement, ce qui eut pour effet de faire se lever à leur tour leurs alliés, peu enclins à laisser des femmes défendre seules leurs convictions, d’autant plus qu’ils les partageaient. Ante sourit en voyant les trois quarts de la table se lever, et reprit d’une voix forte et plus assurée :


- Que pensez-vous de ces reliques atlantes qui continuent de souiller notre monde ? Croyez vous toujours que la diplomatie seule les détruira ? Ces vandales depuis toujours répertoriés comme nuisibles et continuant à disséminer leur poison ? Devons nous les laisser faire, avec comme seule excuse que nous n’avons pas le temps de régler ces problèmes ? Qu’en est-il de ces alliances intolérables ? Pouvons-nous toujours faire confiance à notre diplomatie pour les délier ?


Tous les yeux étaient rivés vers Nerath, attendant de voir quel genre de réaction violente allait s'ensuivre. Celui-ci restat un long instant songeur, avant de s'exprimer d'une voix calme, ce qui surprit toute l'assemblée.


- Après tout, tu n’as peut-être pas tort. Certaines de nos dernières visions correspondent à cette idée, et il est aujourd’hui clair que la saison de la Sage ne nous permet plus d’examiner clairement la situation, et de l’appréhender correctement. Même entre nous, des conflits éclatent … et de plus en plus nous ne nous écoutons même plus, trop emprunts de nos propres connaissances en rhétorique.
Nous n’avons plus le choix. Ou nous ne l’avons peut-être jamais eu.



Nerath s’interrompit un instant, observant lentement ses compagnons et frères diplomates, ses envoyés et messagers, ses assassins et ses apprentis. Des froids royaumes du nord jusqu’aux sombres marais de Stygie, il avait éduqué à la diplomatie et vu grandir dans l’Ordre une bonne partie des membres de cette table. Il se devait aujourd’hui de prendre la bonne décision. Une décision difficile, celle qu’il redoutait de devoir faire durant son mandat. Il devait décider d’envoyer au combat ses compagnons et alliés, pour défendre leurs valeurs et combattre Thot-Amon. Néanmoins, il ne sera pas dit qu’il les aura privé de leur liberté de décision. Il fronça les sourcils et reprit la parole.


- Il n’y aura pas de retour possible, nous ne pourrons revenir en arrière. Êtes-vous sûrs de vouloir ce bain de sang ?



Sur ces paroles, un lourd grondement de chaises et de bancs se fit, et l’ensemble des membres assemblés autour de la table se leva, en un mouvement concerté. Chacun savait ce qu’il aurait à sacrifier, mais le regard que Nerath avait lancé à chacun d’entre eux pendant qu’il réfléchissait, montrait à la fois son indécision et son attachement pour chacun, ne leur avait pas échappé.


- Très bien, reprit-il, la force de sa voix couvrant à grand peine son émotion. La Saison Funeste aura lieu et nous en serons ses émissaires. Il nous faudra laver le sang par le sang, le crime par le crime. Voilà la saison dans laquelle nous allons entrer, et les armes que nous élèverons au dessus de nos têtes seront notre nouvelle diplomatie.


- Recrutez l’élite, entraînez-la. Forgez des armes. Construisez des fortifications plus résistantes que les murs blanchis et ébréchés de cette ville. Contactez la guilde des Carnage, et tous nos alliés de chaque contrée, leur présence à nos côtés ne sera pas de trop. Envoyez tous nos diplomates créer de nouvelles alliances et entretenir les anciennes. Mais plus que tout, préparez-vous à combattre et à éradiquer chaque être nuisible de la surface d’Hyboria avant l’avènement de la prochaine Saison.

- La Saison Funeste vient tout juste de commencer.



- Pour le Grand Œuvre !



Et son rugissement fut repris par tous, et depuis la salle faiblement éclairée, où se trouvaient auparavant de sages diplomates et de timides femmes, une clameur guerrière, violente et brutale, réveilla la vieille ville de Tarantia.